Les bourses d’excellence « Femmes & Sciences » de l’ENS : soutenir la parité dans les disciplines scientifiques.

illustration_femmes_et_sciences.jpg

À la fois par des bourses d’études ciblées et des dispositifs de mentorat, l’École normale supérieure-PSL lance une nouvelle étape de son plan d’action pour contribuer de manière précise et efficace à agir sur ce qui limite l’accès des étudiantes au plus haut niveau d’études scientifiques.
Anne Christophe, directrice-adjointe sciences à l’ENS-PSL, et Jean-Philippe Bouchaud, physicien, cofondateur et président de Capital Fund Management et donateur du programme bourses Femmes et Sciences, nous décrivent les plans d’action en faveur des étudiantes en mathématiques, physique et informatique, visant à augmenter la parité en sciences.


Quel est l’origine de l’initiative des Bourses d’excellence « Femmes & Sciences » ?

Anne Christophe : Il s’agit d’un projet auquel je réfléchis depuis bientôt deux ans, et que nous avons mis en place grâce à Frédéric Worms, directeur de l’ENS, et grâce à Jean-Philippe et Elisabeth Bouchaud, principaux donateurs du programme.
Ce dispositif que l’on vient de mettre en place est comme une réponse partielle à une question qui nous préoccupe toutes et tous : « comment faire pour recruter plus de femmes dans les disciplines scientifiques ?  »  Car les faits sont là et on les connaît bien : on a seulement 10 à 20% de femmes dans nos promotions de normaliennes et normaliens, dans les trois disciplines où les femmes sont le plus sous-représentées, à savoir les mathématiques, l’informatique, et la physique. Une fois que l’on a reconnu l’existence de cette inégalité alors il s’agit d’agir pour pouvoir la compenser partiellement.

 

Que propose concrètement ce dispositif ?

Anne Christophe : Nous avons choisi d’utiliser l’une de nos voies d’entrées à l’École, le concours normalien étudiant (CNE). Ce concours comporte une étape d’admissibilité sur dossier, puis une phase d’admission avec des oraux. Une fois admis à l’École, ces normaliennes et normaliens suivent exactement la même scolarité, avec une seule différence, ils n’ont pas le statut d’élève-fonctionnaire-stagiaire, et donc ne sont pas rémunérés. Et donc pour compenser partiellement le handicap des jeunes femmes, on travaille sur deux axes : d’une part le dispositif du « coup de pouce » à l’admissibilité, et d’autre part le nouveau dispositif des bourses d’excellences.

Le « coup de pouce » à l’admissibilité consiste à prendre en compte le fait que les dossiers des femmes vont refléter un peu moins bien leur potentiel que ceux des hommes – avec des lettres de recommandation qui vont moins facilement utiliser des mots comme «  brillante » ou « excellente », par exemple. Dans la phase d’admissibilité, on regarde tous les dossiers des femmes, et on rend admissibles toutes celles dont le dossier suggère qu’elles auront les moyens de suivre une scolarité à l’École, pour leur donner une chance de venir se défendre à l’oral. Au passage, on fait la même chose pour les étudiantes et étudiants boursiers. Ensuite, à l’oral, tout le monde est traité de la même manière. C’est un dispositif qu’on a déjà utilisé l’année dernière, et dans les trois disciplines dont on parle, on a un pourcentage de candidates compris entre 12 et 20%, et grâce au coup de pouce, un pourcentage de femmes parmi les admissibles entre 15 et 25%.

Le deuxième dispositif, qu’on a mis en place dès cette rentrée 2023, consiste à offrir, avec le soutien du théâtre La Reine Blanche, une bourse d’étude de 1000€ par mois à toutes les étudiantes recrutées en maths, informatique, et physique. Avec l’objectif de soutenir la parité dans ces trois disciplines scientifiques, les plus inégalitaires.

Jean-Philippe Bouchaud : Ce que l’on espère accomplir, c’est trois choses : d’abord, susciter plus de candidatures féminines ; puis, faire en sorte que les femmes sélectionnées choisissent d’entrer à l’École (plutôt que d’aller ailleurs, par exemple dans une autre formation où elles seraient rémunérées) ; et plus généralement, leur passer le message fort qu’elles seront les bienvenues dans ces disciplines.
Si tout va bien, nous espérons en recruter une dizaine par an, sur cinq ans a minima, soit une cinquantaine de bénéficiaires. Mais dans l’idéal, nous n’arrêterons que le jour où le recrutement sera devenu paritaire.

 

Pourquoi y a-t-il si peu de femmes dans les disciplines scientifiques ?

Anne Christophe : Les raisons de cette sous-représentation, on les connaît bien : c’est le poids des stéréotypes de genre, qui sont présents dans l’ensemble de la société – qui commencent très tôt et durent tout au long de la scolarité – et qui fait que les filles, puis les jeunes femmes, reçoivent ce message que les sciences, ce n’est pas pour elles. Et ce poids des stéréotypes va influencer leur parcours académique à plusieurs niveaux : en impactant directement leur performance dans ces disciplines, leurs résultats scolaires ; et en impactant leur choix d’orientation, dans leurs études, sous forme d’autocensure notamment.

Jean-Philippe Bouchaud :  Au travers de ce projet, nous cherchons également à nous attaquer à un problème plus global, à savoir le manque de figures féminines auxquelles peuvent s’identifier ces candidates. D’où, par ailleurs la création de  «  Flammes de sciences  », une série théâtrale sur les femmes en sciences, initiée dans le cadre du Théâtre de La Reine Blanche, et qui remet en lumière les femmes scientifiques invisibilisées par l’Histoire.

 

Quelles sont les autres perspectives dans ce dispositif ?

Anne Christophe : Grâce à ces bourses d’études ciblées, complétés par des dispositifs d’accompagnements divers comme les initiatives portées par le pôle TalENS, ce projet s’inscrit dans un programme d’ensemble : celui d’une École inclusive, qui prend à bras le corps les obstacles à l’équité, à son entrée et dans ses murs. C’est une réflexion sur les différentes dimensions de l’École inclusive qui sera d’ailleurs débattue en janvier 2024 lors d’une journée participative réunissant l’ensemble de la communauté normalienne.    

Pensez-vous ce programme peut faire rapidement évoluer les choses et susciter des vocations ?

Anne Christophe : Bien entendu la prochaine question qu’on a envie de se poser, c’est « est-ce que cela va fonctionner ? »  C’est encore bien trop tôt pour le savoir, mais tout de même, nous avons déjà quelques indicateurs. Par exemple, cette année, le pourcentage de candidates, en physique, était de 30%, contre seulement 20% l’année dernière. Et comme on a aussi plus de candidats au total que l’an dernier, on a en fait doublé le nombre de candidates physiciennes. En maths et en info, on est resté avec un pourcentage de candidates inférieur à 15%. Même si on ne peut pas savoir s’il s’agit déjà d’un effet de la mise en place du système de bourses d’excellence, les choses avancent dans le bon sens…

Jean-Philippe Bouchaud : Nous sommes particulièrement sensibles à la représentation des femmes scientifiques depuis de nombreuses années et c’est donc avec beaucoup d’enthousiasme que nous nous lançons dans cette aventure, à la fois concrète et à effet immédiat. En effet, dès cette première édition, nous avons doublé le nombre de candidatures féminines, passé à 60 (31 %) contre 30 (20 %) en 2022.