« L’École normale est plus diverse et inclusive qu’on ne croit et veut l’être plus encore, au plus grand bénéfice de ses missions dans la société. »
Rencontre avec Frédéric Worms, directeur de l’ENS-PSL, qui lance la
journée « École inclusive », le 18 janvier 2024, dans le projet global
de l’établissement en matière de diversité et d’inclusivité.
En janvier 2024, l’ENS-PSL va organiser une journée « École inclusive ». Que recouvre cet événement ?
Frédéric Worms : Cette journée est comme la précédente (« École durable
») une rencontre de toute l’École sur les questions qui concernent
toute l’École. Mais il y a cette fois un lien plus fort que jamais entre
la forme et le contenu de cette rencontre.
Comment pourrait-on parler de l’École inclusive sans associer tout le
monde ? Ce qu’on appelle l’inclusivité, c’est la prise de conscience de
la diversité mais aussi des inégalités, voire des exclusions qu’elle
peut comporter et qu’il faut corriger. Or, l’ENS, comme École
républicaine de recherche et de formation par la recherche est, veut et
doit être diverse, attirer et accueillir tous les talents, associer et
combiner tous les métiers et toutes les forces. La prise de conscience
des risques qui menacent cette diversité est donc essentielle : pour
l’attractivité et l’ouverture de l’École, mais aussi pour le respect et
plus encore la participation et l’enrichissement mutuel de toutes les
diversités, et c’est ce qu’on appelle l’inclusivité. Elle est donc au
cœur du projet de l’École, comme société, et dans la société, dans et
par ses missions de formation et de recherche.
Cette Journée, portée par la direction de la vie étudiante et le Pôle TalENS, sera donc une étape de réflexions, de propositions et de débats, partagé par toutes nos parties prenantes (étudiants, enseignants-chercheurs, personnels techniques et administratifs).
Quelles sont les lignes de fracture qui font que la diversité pourrait devenir exclusive, parmi les étudiantes et étudiants d’abord ?
Frédéric Worms : La diversité, à l’intérieur de l’École et entre étudiants, peut prendre deux formes principales qui peuvent induire des tensions qu’on doit éviter. Il y a des différences de statut, entre normaliens d’abord (les fonctionnaires-stagiaires et celles et ceux qui ne le sont pas), puis entre ces derniers et les autres étudiants de l’École (dans les masters ou doctorats de PSL opérés par l’École) ou les internationaux (dont le nombre et la diversité sont impressionnants). Ces statuts font partie de la structure de l’École et comportent des règles et des contraintes, même si par exemple les droits de tous les normaliens sont identiques en dehors du statut et du financement, et la mise en place d’un financement de toutes et tous est un objectif essentiel pour nous. Il y a aussi des démarches envers toute la communauté étudiante à l’École car il est essentiel que la diversité, qui est une richesse, ne suscite pas de fractures dans la communauté étudiante de l’École.
De très nombreux dispositifs et mesures d’inclusivité ont été mis en place au sein de l’École et de PSL. Ils débutent dès la semaine de rentrée et sont pilotés, tout au long de l’année, par la direction des études de la vie étudiante et des carrières. Ils concernent également les enseignements dispensés à l’École et la vie étudiante de PSL et constituent un progrès majeur. Et puis il y a les paramètres fondamentaux de la diversité sociale, tous présents à l’École, avec leur richesse et leurs risques : différences de « genre », mais aussi géographiques y compris nationalement, différence d’origine sociale, d’inclusion culturelle ou de maîtrise des possibilités de carrières et des relations interindividuelles.
Il nous faut par exemple à continuer à lutter contre les inégalités de genre, avec notamment la problématique de la sous-représentation des femmes dans certaines disciplines scientifiques. En y adjoignant ce qui fait notre ADN, à savoir une vraie réflexivité, appuyée sur la recherche. Il nous appartient, encore, d’aplanir les effets du manque de diversité sociale (concentration des élèves de quelques grands lycées parisiens) ou géographique, en favorisant l’intégration des étudiants internationaux. Il nous faut, enfin, poursuivre les mises aux normes PMR (« Personne à mobilité réduite ») et travailler à intégrer les handicaps invisibles. Mais il y aura des appels à propositions sur ces sujets pour préparer cette journée commune.
Cette démarche couvre aussi l’amont et l’aval de la scolarité, ainsi que les équipes enseignantes…
Frédéric Worms : En effet, l’ENS inclusive vise aussi à aborder deux autres sujets. Le premier, c’est l’égalité des chances pour intégrer l’École : une thématique centrale, qui fait que les trois ENS se sont associées à l’initiative de l’ENS de Lyon d’organiser un grand colloque sur cette question en juin 2024. Le second consiste à ouvrir à l’ensemble de nos élèves le maximum de débouchés, dans toute la société.
Notre mission consiste aussi à continuer à travailler sur la qualité des conditions d’exercice de nos équipes enseignantes, elles aussi caractérisées par des disparités fortes : doctorants et post-doctorants, enseignants titulaires ou contractuels, chercheurs détachés à intégrer au mieux dans nos départements… Et, bien entendu, cette question concerne également tous les métiers, et toutes et tous celles et ceux qui travaillent à l’École et qui mobilisent toute la diversité de la société au service de nos missions, fondamentales.
Nous sommes une école qui, par définition, aide à fonder et à transmettre des normes. Mais la force du « normal », ce n’est pas de réduire les diversités, c’est au contraire d’être en capacité de les intégrer, de soutenir les différences et les fragilités. Les philosophes de la médecine, dont certains issus de l’École, l’ont bien montré ! C’est pourquoi il nous appartient de prendre toutes ces problématiques à bras le corps, collectivement et complètement.
Propos recueillis par Catherine Piraud-Rouet