Un cours à l’ENS pour s’initier à la langue des signes française

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Depuis 2020, les étudiantes et étudiants de l’ENS-PSL peuvent s’initier à la langue des signes française (LSF), enseignée au département Espace des Cultures et Langues d’Ailleurs (ECLA) de l’École.

Proposé par Émi Matsuoka, doctorante en sciences politiques à l’ENS et sourde de naissance, ce cours intéractif, accessible à toutes et tous, propose d’acquérir en deux semestres les bases de cette langue visuo-gestuelle, tout en découvrant la culture et la communauté sourde.


Émi Matsuoka, vous enseignez le cours d’initiation de langue des signes française (LSF) à l’ENS-PSL. Quels sont les objectifs de ce cours et à qui est-il destiné ?

Les objectifs de ce cours sont d’acquérir les bases de la LSF mais aussi de découvrir la culture et la communauté sourde. C’est un enseignement complet, où l’on y apprend la maîtrise de la dactylologie, c’est-à-dire l’alphabet de la langue des signes, l’acquisition d’un vocabulaire précis sur des thématiques variées, sur les animaux, le corps, les chiffres, la notion du temps, les sentiments, le travail… pour donner quelques exemples. Nous nous consacrons aussi à l’étude des paramètres des signes, comme la configuration de la main, le mouvement et l’orientation ainsi qu’aux bases de la structure grammaticale de la LSF, spatiale et non linéaire. Pratiquer la LSF permet ainsi de développer une autre perception du monde et de mobiliser d’autres sens que la voie audio-phonatoire.

À la fin de cet enseignement qui se déroule sur deux semestres, les étudiants peuvent s’exprimer en LSF, communiquer avec des personnes sourdes et tenir une conversation en langue des signes, en utilisant le vocabulaire acquis tout au long de l’année. Ce cours est destiné à tous les étudiants de niveau débutant, mais il existe également un cours de LSF intermédiaire pour celles et ceux qui souhaitent poursuivre leur apprentissage l’année suivante.

Depuis quand cette formation existe-t-elle et comment est-elle née ?

Cette formation est très récente, elle a commencé à la rentrée 2020. J’ai proposé ce cours de langue des signes française au département Espace de Cultures et Langues d’Ailleurs (ECLA) de l’ENS-PSL, qui a été très enthousiasmé par ma proposition. Tout s’est ensuite mis en place très rapidement. Aujourd’hui, nous comptons trois promotions d’étudiants et d’étudiants signeurs à l’École normale.

Comment se passe un cours-type ?

C’est un cours interactif où tous les étudiants participent. Il n’y a qu’une vingtaine de places, ce qui favorise les échanges et permet un apprentissage serein. Le cours se déroule avec une partie théorique, suivie d’une partie pratique avec des travaux en binôme ou en groupe. Il y a aussi beaucoup d’exercices descriptifs et narratifs, ainsi que des mises en situation de communication et de dialogue au quotidien.

Outre ces cours, y a-t-il d’autres initiatives LSF à l’ENS-PSL ?

Il y a en plus des cours, des sorties culturelles comme à l’Institut National des Jeunes Sourds (INJS), à l’International Visual Theatre (IVT) présentant des pièces de théâtre bilingues. Tous les ans, des étudiants et étudiantes de mon cours, en collaboration avec l’équipe Langue des signes de l’Institut Jean Nicod, organisent Faites-moi signe, une journée annuelle d’études autour de la langue des signes et de la culture sourde, ouverte à tous les publics. Au programme, des conférences bilingues en LSF et français pour  garantir l’accessibilité à tous, une pièce de théâtre en LSF créée et jouée par les étudiants, mais aussi un atelier d’initiation à la LSF ainsi qu’une soirée de clôture conviviale.


« Il est essentiel de donner de la visibilité à la langue des signes et à la culture associée dans le milieu académique et scientifique.  »

Comment êtes-vous devenue enseignante LSF à l’ENS et qu’est-ce qui vous a motivée ?

J’ai fait mes études à l’ENS et c’est durant mon doctorat que j’ai commencé à y enseigner la LSF, en parallèle de mon autre profession dans la médiation culturelle et scientifique, en tant que guide-conférencière nationale dans la RMN-Réunion des Musées Nationaux du Ministère de la Culture. J’ai donc une expérience de la transmission de la langue des signes auprès des publics sourds, entendants, nationaux et internationaux, avec l’utilisation de la LSF, l’American Sign Language (ASL), la British Sign Language (BSL), l’International Sign
J’ai eu un déclic à mon retour de l’University of Oxford où j’avais ouvert un cours d’initiation à la BSL lors d’un séjour dans le cadre de mon doctorat. L’expérience s’était révélée très positive et je voulais continuer à transmettre la langue des signes à mon retour en France. Selon moi, il est essentiel de donner de la visibilité à la langue des signes et à la culture associée dans le milieu académique et scientifique, et de diffuser une représentation de la surdité non défectologique et médicale, mais culturelle et linguistique, spécifique à la communauté sourde.

Vous êtes membre de la Fédération Nationale des Sourds de France (FNSF) et êtes notamment impliquée dans l’information et l’accompagnement des étudiants sourds et malentendants dans leurs démarches d’accessibilité à l’enseignement supérieur. En quoi cet engagement est-il important pour vous ?

La Fédération Nationale des Sourds de France œuvre historiquement pour la langue des signes en faveur de la communauté sourde. En tant que responsable du secteur Étudiants Sourds de France (ESF), mon rôle est de faire bénéficier les jeunes et les étudiants sourds de diverses expériences et de stratégies pour mettre en place l’accessibilité dans leur parcours scolaire et universitaire. Je les informe aussi de leurs droits afin qu’ils puissent être mieux préparés à affronter de potentiels obstacles ou discriminations. La FNSF permet également de faciliter la mise en réseau des étudiants et étudiantes sourds, afin qu’ils puissent échanger, se donner des conseils et se rencontrer. C’est une association très active et fédératrice.

Vous terminez actuellement votre thèse. Au cours de vos études, avez-vous perçu une évolution des établissements d’enseignement dans l’inclusion des personnes sourdes et malentendantes ?

Dans mon parcours d’études, j’ai vécu et j’ai été témoin de diverses situations de mise en difficulté et en situation d’inégalité en raison de privation d’accès au contenu pédagogique, pour les élèves-étudiants sourds dans le milieu scolaire et universitaire. En effet, il y a une grande variabilité dans l’accessibilité des études ; celle-ci aléatoire, dépend des politiques internes des établissements, des missions handicap parfois non formées, voire inexistantes, parfois très engagées. Malgré la loi de 2005 sur « l’égalité des droits et des chances pour tous », son effectivité est encore mise en défaut. Si les chiffres élogieux du gouvernement montrent la croissance des étudiants handicapés incluant les sourds, ceux-ci n’indiquent pas le degré de surdité, ni le taux de décrochage dès la première année, avant l’obtention de diplôme. Le parcours d’un étudiant sourd est équivalent à un parcours du combattant et d’« entrepreneur d’accessibilité ».


Bio express d’Émi Matsuoka

« Sourde totale de naissance, j’ai bénéficié d’une éducation et scolarité bilingue précoce adaptée à ma surdité, en LSF. À partir du secondaire, j’ai intégré, à défaut d’une filière bilingue jusqu’au lycée général, hélas non existante à Paris, le cursus général.. Après avoir été diplômée en sciences sociales à Sorbonne Université, puis en sciences politiques à Sciences Po, je suis entrée à l’ENS-PSL où je termine actuellement mon doctorat en science politique, spécialité politique comparée au Centre Maurice Halbwachs (ENS – EHESS – INRAE – CNRS).

Ma thèse traite des politiques en direction des personnes sourdes et de leurs enjeux politiques, éthiques et sociétaux autour des innovations biotechnologiques. Je mène une étude comparative entre la France et l’Angleterre réalisée auprès de sourds implantés cochléaires, non implantés et désimplantés. »